Mes mutants

Depuis mes études à l'ERBA de Rouen, j’ai accumulé un certain nombre d’image concernant le corps et l’évolution des représentations du corps. C'est-à-dire des images de personnes anormales ou handicapées, de corps malformés ou mutilés et d’êtres humains victimes de la science. Cette accumulation est venue nourrir mon travail et c’est à partir de cette matière première que j’interroge l’avenir de l’être humain. A la manière d’un docteur Frankenstein moderne, je donne naissance à des créatures, à la fois, hyperréalistes et surréalistes. Je déstructure, recompose et réorganise le corps humain pour créer une ambiguïté entre le vivant et le mort, le réel et l’imaginaire, l’humain et l’animal. Imaginant un monde fantastique, je me demande s’il est possible que mes créatures puissent exister ? Si les artistes se permettent de se prendre pour Dieu, profitant de leur statut d’artiste pour violer les limites du processus de création, la science quant à elle, a-t-elle tous les droits ? Face à cet édifice troublant, on ne peut ignorer le débat sur les progrès de la génétique. Patricia Piccinini qui montre dans son œuvre Prottein Lattice, un top model d’une beauté parfaitement digitale cohabitant avec un rat sur lequel a été greffée une oreille humaine, ne se doutait peut être pas que quelques années après, ce fantasme fut réalisé sur le ventre d’un homme. 

Répulsion ou fascination ? Le corps monstrueux est défini comme un corps inachevé, déréglé, incomplet. Des êtres de curiosité et de spectacle. Etres difformes, victime innocente d’un traquenard biologique, le monstre l’est en prime du voyeurisme des individus normaux. La déformation est effrayante mais aussi attirante car c’est une curiosité. L’être humain a toujours été attiré par la rareté, pour tout ce qui sort de la norme. Moi-même intéressée par toutes les erreurs de la nature, je m’interroge sur cette fascination que j’entretiens pour les évolutions spectaculaires de la science qui mettent en jeu l’avenir de la nature humaine. La triangulation entre mes sculptures, le spectateur et moi-même est primordiale. Mes sculptures doivent interagir physiquement avec le spectateur. La monstruosité devant lui doit l’amener à s’interroger sur sa propre position d’individu calibré. L’artiste photographe, Joël Peter Witkin nous incite à voir et à prendre conscience des étrangetés du monde les plus terribles. Contrairement à Patricia Piccinini, il nous montre des êtres bien réels qui soulèvent des questions morales, esthétiques et même scientifiques. Ces êtres sont souvent le résultat de la folie meurtrière des hommes qui contamine l’espèce humaine. Le corps est comme un terrain de jeu à portée de main et un laboratoire à toutes expériences. L’Homme est son propre créateur. C’est lui qui défie les lois de la nature. Attirances ou refus, curiosité ou peur. Comment l’homme doit-il réagir face à cette nouvelle espèce ?

Extrait du roman Frankenstein de Mary Shelley :

«  Je m’exclamai :

- Démon, comment oses-tu m’approcher. Ne crains-tu pas que mon bras vengeur ne s’abatte sur ta misérable tête ? Arrière, immonde insecte ! Ou plutôt non, reste, que je te réduise en poussière, que je mette un terme à ta misérable existence (…).

-Je m’attendais à un tel accueil, dit le démon. Les hommes n’éprouvent que mépris pour les misérables. Combien dont ils doivent m’abhorrer moi qui suis le plus misérable des êtres vivants ! Pourtant c’est vous mon créateur qui me détestez et me rejetez, moi, votre créature, à laquelle vous êtes lié par des liens que seule la mort de l’un de nous pourra dissoudre. »

L’évolution des représentations du corps ne saurait se dissocier de l’évolution des idées, de la culture et de la science. Déclarant que le corps est obsolète mais ne souffrant d’aucune malformation, le danseur Stelarc décide de se greffer au tronc un troisième bras artificiel. Il crée les technogreffes. Quelle est la place du corps dans un monde qui se dote d’appareillages les plus diversifiés pour répondre à certains besoins ? D’après Stelarc, la prothèse est entendue comme extension du corps. La prothèse pourrait renvoyer à l’idée d’une insuffisance du corps biologique, non pas parce qu’il y a déperdition du corps, mais parce que le corps n’est pas à même de remplir certaines tâches et que nous avons besoin d’y remédier en accroissant les facultés du corps, en intensifiant et en amplifiant le corps. Est-ce l’avenir du corps humain ? L’idée serait donc d’ajouter des membres à notre corps pour amplifier nos capacités d’exécution. Et pourquoi ne pas créer une nouvelle espèce qui répondrait directement à des besoins précis. De nouveaux corps qui seraient créés pour accomplir une seule tâche et donc accroître la productivité. Ma sculpture Bébé peut représenter un prototype pour une nouvelle ligne d’humains qui correspondraient à une tâche où il est seulement nécessaire d’avoir un avant-bas et une tête. Le corps est réduit à son strict minimum, et ses besoins vitaux aussi. (ref.: Les frères Chapman).

Comment Bébé est né en bronze... Stage chez Rosini.

Comment Bébé est né en aluminium... Pendant mes études au lycée Anguier